Emotions, maladies psychiques et CNV : interview avec le Pr Jeammet

Quels liens entre nos émotions,  les maladies psychiques, et les comportements destructeurs ?

J’ai eu la chance de faire la connaissance avec le Professeur Philippe Jeammet lors d’un interview le 8 février sur Radio Notre Dame dans l’émission « En quête de sens » autour de la question comment faire face à nos émotions difficiles ?

Le Professeur Jeammet a dirigé pendant 20 ans le service de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte à l’Institut Montsouris.  Son approche est profondément en accord avec la vision de Marshall Rosenberg sur la maladie psychique.

Avant l’interview j’avais visionné plusieurs de ses video sur youtube, et je vous recommande notamment celle intitulée « Faire face à quoi ? ».

Sa compréhension des maladies  psychiatriques, fruit de sa longue expérience clique, est  qu’il s’agit de mécanismes adaptatifs à une incapacité à faire face aux émotions. Cette incapacité constitue une énorme contrainte pour l’individu, le privant de liberté de choix. Dès lors il s’agit d’aider l’individu à retrouver de la liberté d’agir. Philippe Jeammet parle d’injustice, et a consacré sa vie à aider ces jeunes à  mener une vie conforme à leurs aspirations.

La clef est de pouvoir passer de la destructivité à la créativité. Pour lui, la destructivité est « la créativité du pauvre », une manière de retrouver du pouvoir d’agir, comme le suicide aussi.

J’ai été saisie en découvrant son travail de découvrir son approche profondément humaine, empathique,  au delà de toute étiquette enfermant les individus et c’est en cela qu’il rejoint la vision de Marshall Rosenberg.

L’approche de la Communication NonViolente

Marshall Rosenberg, né en 1934 aux Etats Unis et décédé le 7 février 2015, est le fondateur du Centre pour la Communication NonViolente (CNVC). Docteur en psychologie clinique, il a travaillé dans des services de psychiatrie. Il  réussissait à  en entrer en relation avec des patients schizophrènes réputés inatteignables,  grâce à une profondeur d’empathie couplée à une aussi profonde authenticité. Pour lui comme pour Carl Rogers avec qui il a collaboré, l’authenticité du thérapeute contribue largement à la guérison.

Il était convaincu que le fait d’étiqueter les patients, de les catégoriser  en  maladies mentales reflétait l’incapacité des professionnels à établir le contact.

Son approche réclame  patience et persévérance. Il pouvait s’écouler 5 séances avant que le patient , terrorisé, ne prononce un mot tant il faut du temps pour que la confiance s’installe. J’ai compris profondément le pouvoir de l’empathie le jour où j’ai vu Marshall travailler avec un patient atteint d’addiction à l’alcool. Il lui démontrait avec une empathie que je n’avais jamais vue que c’était pour le moment la meilleur chose qu’il pouvait faire pour  se préserver de l’angoisse intolérable.  Effectivement « à chaque instant  nous faisons de notre mieux pour satisfaire nos besoins » . On retrouve là la théorie des mécanises adaptatifs du Pr Jeammet.

Nos principales émotions

En dehors des maladies mentales caractérisées comme telles, le Pr Jeammet résume les émotions aux 2 polarités : peur et confiance.

Effectivement là aussi nous sommes proches, car sous la colère que nous abordons largement avec la CNV se cache la peur. Et la dépression est le résultat d’une colère non exprimée (quand je ne m’exprime pas, ça s’imprime et je déprime – Thomas d’Ansembourg)

Lien entre déni de nos émotions et attitudes de domination

La grande difficulté pour faire face à nos émotions, les « gérer » est le fait qu’il est souvent mal venu de les montrer en milieu professionnel.  Une des causes en est la confusion entre vulnérabilité et  faiblesse. Ce déni de vulnérabilité est à la base du manque de fraternité, d’empathie, et de beaucoup d’attitudes de prise de pouvoir. En effet, une peur non reconnue, une insécurité,  entrainent des réactions de défense à type de fuite ou d’agressivité, de domination . Outre le fait que nous les regrettons souvent a posteriori  (même sans l’avouer publiquement) ces attitudes contribuent aux risques psychosociaux.

Faire face à nos émotions nécessite de les ressentir, plutôt que de les fuir, et cela s’apprend à travers l’accueil des sensations.

Notre responsabilité

Il est de la responsabilité  de chacun de nous d’identifier nos peurs pour s’en libérer, et retrouver le chemin de nos aspirations profondes, de comportements allant dans le sens de la créativité et du bien commun et non de la destructivité.

C’est en enjeu sociétal majeur : il s’agit d’être disponible pour agir plutôt que de réagir à partir de nos peurs et de notre besoin de reconnaissance ,  afin de prendre en compte les besoins de tout un chacun et de créer ce monde de fraternité auquel nous aspirons.